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Peut-on être soi-même quand on est dirigeant ?

Dans cet article j’explore la question de l’authenticité dans le métier du dirigeant. J’en montre les obstacles, mais aussi et surtout les enjeux immenses, tant pour le dirigeant lui-même que pour l’entreprise et pour le monde. Enfin je donne quelques pistes sur la façon de progresser vers un leadership plus authentique.

Ce matin je sais que je m’attaque à un sujet délicat. Deux semaines déjà que je le mâche dans ma tête, avec cette question : saurai-je dans un court article en traduire l’enjeu, la complexité, et transmettre en même temps quelques indications utiles aux lectrices et lecteurs ? Car la question est je crois de la plus haute importance dans la période que nous vivons.

Commençons par le commencement.

Pourquoi cette drôle question « Peut-on être soi-même quand on est dirigeant » se pose-t-elle ? Je vais essayer d’y répondre en développant successivement trois aspects :

  1. Parce que nous sommes conditionnés pour croire que « non, ça n’est pas vraiment possible »
  2. Parce que nous en souffrons de plus en plus
  3. Parce les défis d’aujourd’hui nécessitent que nous transformions cette croyance devenue très limitante.

Nous sommes conditionnés pour croire qu’un dirigeant ne peut pas être pleinement lui-même.

Avant d’explorer plus profondément cette affirmation, commençons par en définir les termes. Par conditionnement, j’entends un produit de notre culture et de notre éduction, qui fait que nous adoptons une certaine représentation de la réalité et que nous nous comportons d’une certaine façon, tout en l’érigeant en « vérité ». Autrement dit sans être conscients qu’il ne s’agit que d’un conditionnement. 

Par « être soi-même » j’entends notre capacité à être à l’extérieur ce que nous sommes à l’intérieur de nous-mêmes. En retournant la proposition, ceci signifie que nous ne sommes pas nous-mêmes lorsque nous jouons à l’extérieur un personnage différent de l’homme ou la femme qui existe à l’intérieur.

Par dirigeant, j’entends indistinctement de genre, les femmes et les hommes qui exercent d’importantes responsabilités dans l’entreprise ou ailleurs, impliquant un lien hiérarchique.

Si vous êtes dirigeant, français et âgé de plus de quarante ans, je postule que dans une proportion plus ou moins forte ce conditionnement est présent en vous, comme il l’est en moi. Il est le produit de notre héritage culturel, de notre éduction, de nos modèles familiaux, de nos croyances collectives sur l’Homme, sur les organisations humaines, sur le leadership etc. Précisons tout de suite que l’âge a son importance, car l’observation par exemple de jeunes entrepreneurs me montre que nous vivons probablement une époque de transformation de cette croyance, et que c’est une excellente nouvelle. Le souci est que l’immense majorité des dirigeants aujourd’hui n’ont pas 25 ans ! D’où cet article.

Qu’est-ce que produit ce conditionnement ?

Plusieurs croyances que je vais citer, sans prétendre ni à une vérité ni à une généralité. Je vous invite simplement à accueillir ce qui suit en vérifiant en vous-même avec attention, sincérité et bienveillance.

Depuis ce conditionnement, nous croyons :

  • Que nous avons un « rôle » à tenir, dont les attributs sont assez définis.
  • Que nous devons savoir « gérer nos émotions » (sous-entendu, ne pas les montrer)
  • Que nous devons être forts, par exemple en ne témoignant pas de nos doutes, fragilités ou limitations (croyance plus fortement présente chez les hommes).
  • Que nous devons être parfaits, par exemple en voulant réussir dans tous nos rôles, tant professionnels que personnels (croyance plus fortement présente chez les femmes).
  • Que ce « rôle » implique nécessairement des compromis avec la personne que nous sommes au fond.
  • Que nos « valeurs profondes » sont pour nous-mêmes
  • Que notre prise de parole publique doit se cantonner à notre « rôle »
  • Que nous ne pouvons pas être vraiment « amis » avec nos collaborateurs
  • Etc.

Les manifestations de ces croyances sont multiples, et chacun se reconnaîtra plus ou moins, dans celles que je cite maintenant : la façon dont nous nous habillons au travail, le bureau que nous occupons, la voiture que nous possédons, le temps que nous consacrons au travail, la façon dont nous parlons, les mots que nous utilisons, la façon dont nous écoutons, dont nous écrivons, dont nous décidons etc.

Sans en être pleinement conscients, nous nous identifions à un personnage nommé dirigeant, qui doit se comporter d’une certaine façon.

Pouvons-nous reconnaitre cela ? Il se peut que cela vous agace. Si c’est le cas je vous invite à nouveau à ce regard profond, sincère et bienveillant avec vous-même.

Mais après tout, est-ce un souci que d’habiter ce « personnage dirigeant » ? Finalement, nous pourrions nous dire que cela nous a bien réussi jusqu’à présent, et surtout que cela a bien réussi à notre entreprise. Et il est parfaitement vrai que des générations de dirigeants ont exercé leur métier avec un tel conditionnement, tout en étant été couronnés de succès.

Mais les temps ont changé.

Nous souffrons de plus en plus de ce décalage entre celui ou celle que nous sommes en vérité, et ce « personnage dirigeant » auquel nous nous identifions.

Paradoxalement, je crois presque inutile de trop m’étendre sur ce constat, tant il semble évident aujourd’hui. Combien de départs, ou nouveaux démarrages, pour enfin pouvoir vivre et travailler en conformité avec nos valeurs ? Combien de burn-out ou d’épuisements moraux, y compris chez les dirigeants ? Combien de séances de coaching où ce thème de l’alignement est inlassablement abordé ? Combien d’heures de sommeil perdues ? Combien de kilomètres de footing ou de trail pour tenter de gérer la souffrance causée par ce décalage ?

Je vais quand même citer une donnée qui m’a autant impressionnée que donné de l’espoir. Il se trouve que sur les 4 derniers mois nous avons mené plus de 150 interviews de dirigeantes et dirigeants d’entreprises de toutes tailles. L’une des questions était : qu’est-ce qui selon vous-vous est en train de toucher à sa fin aujourd’hui : dans le monde, dans votre entreprise, et en vous ?  Devinez quoi !  Sur le sujet « en-vous », un grand nombre de dirigeants sentent que ce temps du décalage touche à sa fin, et désirent au plus haut point aller vers beaucoup plus d’authenticité dans l’incarnation de leur fonction.

Heureuse nouvelle ! D’autant qu’il y a urgence.

Les défis d’aujourd’hui supposent des dirigeants (leader) authentiques

Sur cet aspect je veux m’étendre un peu plus, car il doit être compris à un niveau suffisamment profond.

Pour cela il nous faut prendre conscience d’une chose importante : la conséquence la plus dramatique du conditionnement évoqué plus haut est qu’il nous a, pour une bonne part, coupé de nous-mêmes.

Identifiés au « personnage dirigeant » (celui de notre carte de visite), nous ne savons même plus qui nous sommes vraiment. Nous sommes coupés de nous-mêmes, et de notre pleine humanité.

La proposition peut choquer et nécessite des exemples. Combien de dirigeants, en séance de coaching, ne peuvent pas nommer l’émotion qui les traverse ? Combien ne savent pas, au premier abord, parler d’autres valeurs que celles placardées sur les murs de leur entreprise ? Combien ne sont pas capables de décrire ce qu’ils ressentent dans leur corps ? Nous sommes fermés à nous-mêmes, le plus souvent centrés dans la tête, loin du corps et du cœur. Et c’est une cause de grande souffrance.

Mais il y a plus grave encore.  

Coupés de nous-mêmes, nous ne pouvons qu’être coupés des autres, que ceux-ci soient, dans le travail, nos collaborateurs ou nos clients.

« Quoi ! Mais pas du tout ! » pourrais-je vous entendre dire, comme je l’entends en moi de temps en temps.

Et pourtant …

Comment pourrions-nous percevoir finement les émotions de nos collaborateurs ou de nos clients, et poser des mots dessus, si nous ne percevons pas déjà les nôtres ? Cela s’appelle l’intelligence émotionnelle. Comment pourrais-je ressentir de l’empathie face à la souffrance de mes équipes (et le sujet est tout à fait d’actualité dans cette année COVID) si je ne sais pas ressentir la souffrance en moi, ou si je ne sais/peux pas éprouver de la compassion pour moi-même ?

Comment pourrais-je mettre l’humain au cœur de mon entreprise (au-delà des mots), si je suis moi-même en grande partie coupé de ma pleine humanité, retranché dans ce « personnage dirigeant » dont nous avons évoqué plus haut les croyances limitantes ? Car la dimension systémique des organisations humaines fait que des dirigeants coupés de leurs émotions, en haut de la pyramide, adoptent des comportements qui ont tendance à se répercuter dans tous les étages de l’entreprise.

L’entreprise pleinement humaine suppose des dirigeants pleinement humains, c’est-à-dire connectés à leurs émotions, à leur cœur, et à leur corps. Il ne peut en être autrement.

Sinon ce ne sont que de mots désincarnés, qui génèrent désillusions et souffrances.

Mais Il y a un enjeu plus grand encore.

Le dirigeant qui considère que ses valeurs profondes sont pour lui-même, tend à adopter dans son « personnage dirigeant » un regard beaucoup plus policé, prudent et lisse.  

C’est notamment le cas du sujet de l’écologie, mais pas seulement. Combien de dirigeants aujourd’hui s’engagent dans l’écologie à titre personnel, avec parfois des changements radicaux dans leur mode de vie, mais adoptent depuis leur « personnage dirigeant » une position nettement plus molle et prudente ?  Je l’ai constaté chez de nombreux leader que j’accompagne, et en moi-même aussi dans mon entreprise. J’ai aussi constaté la souffrance croissante que ce décalage génère.

Voyons même plus loin, car en réalité l’enjeu n’est pas uniquement notre souffrance personnelle face à ces compromis.

En étant coupés de nous-même et de nos valeurs profondes, nous ne ressentons pas de façon juste l’action qu’il conviendrait d’entreprendre.

Retranchés dans la tête, nous sommes séparés de ce qui est vivant en nous : émotions, sensations du corps, circulation de l’énergie. Séparés de ce qui est vivant en nous, nous ne pouvons qu’être séparés de ce qui est vivant à l’extérieur de nous, chez nos frères et sœurs humains, mais beaucoup plus généralement encore dans la nature. Voyez l’enjeu !

La conséquence est que nous restons à un niveau de surface. En résulte par exemple une politique RSE « bon élève », voire « marketée », qui n’est pas incarnée, et souvent insuffisamment ambitieuse face à la réalité des défis du monde, notamment celui de la transition écologique.

L’authenticité et l’ouverture du dirigeant à lui-même, c’est-à-dire notamment à son vécu émotionnel et à ses valeurs profondes, est devenu une nécessité absolue voire une urgence si nous voulons répondre aux défis d’aujourd’hui.

Il n’y a donc pas de doute. Nous devons abandonner ces croyances héritées des siècles passés, et travailler à un leadership beaucoup plus authentique, incarné et intégral (c’est-à-dire associant la tête, le cœur et le corps).

A ce stade je partage deux bonnes nouvelles pour nous donner du baume au cœur. La première, c’est qu’il y a un lien direct entre l’authenticité du dirigeant et sa capacité à engager ses collaborateurs. Qui n’en a pas fait l’expérience ?

La seconde, c’est qu’il y a un lien direct entre l’authenticité et la joie. Plus nous nous alignons, plus nous nous ouvrons, plus la joie et l’énergie vitale sont présentes dans notre vie. Ce dont nous parlons ici n’est donc pas un chemin d’effort et de sacrifice, tout le contraire !

Ce qui m’amène maintenant à explorer les deux dernières questions de cet article :

  • Est-ce à dire que l’idéal à atteindre est une authenticité totale ?
  • Comment puis-je devenir un dirigeant plus authentique ?

A la première question, je réponds assez simplement : Non. La réalité de la fonction et des responsabilités que nous assumons en tant que dirigeants fait que parfois il est, et il restera plus « juste » de taire nos convictions personnelles, ou notre émotion, voire d’adopter consciemment un comportement « tactique ».

Mais comprenons bien ceci : il y a une différence immense entre choisir consciemment, ici et maintenant, de taire notre émotion (à laquelle nous sommes intimement connectés) et être le sujet inconscient d’un conditionnement qui fait que, dans cette même situation, nous ne pouvons pas exprimer notre émotion.

Dans un cas il y a de la liberté, de l’ouverture et surtout de la conscience. Dans le second cas il y a toujours cette identification au « personnage dirigeant » de notre carte de visite.

Ce n’est donc pas seulement une croyance que nous devons remplacer par une autre, c’est une plus grande conscience de nous-mêmes que nous devons développer.

Ce qui nous amène à la dernière question : comment progresser sur ce chemin ?

J’ai compris et j’ai envie d’être demain un leader plus authentique. Mais comment faire ? Car dès que je me projette dans cette idée je sens immédiatement la peur en moi.

  • Quel impact sur l’image que mes équipes ont de moi ? Est-ce que je ne vais pas perdre en crédibilité, en l’impact, en autorité ?
  • Saurais-je exprimer correctement mes émotions ?
  • Est-ce que l’alignement plus fort avec mes valeurs ne mène pas à la désillusion, face à la réalité du marché, de l’entreprise, des actionnaires ? Ou alors à mon échec, si nous allons trop loin ou trop vite ?
  • Est-ce que je ne vais pas ouvrir une boite de pandore ?
  • Etc.

Et ce n’est pas tout.

Alors que nous avançons sur ce chemin d’être nous-mêmes, nous découvrons une autre question, plus transformante encore : qui est « moi-même » ?

Après quoi je cours aujourd’hui ? Quel est le « scénario de vie » qui agit en moi sans que je ne le veuille ? Quelles sont mes valeurs profondes ? Quelle est l’intention profonde qui m’appelle ?

A ces questions du comment, deux réponses peuvent être apportées :

Tout d’abord, adopter la politique de petits pas. L’authenticité du leadership est un chemin de vie, qui se parcoure un pas après l’autre. Quel tout petit pas puis-je expérimenter dès demain matin ?

Ensuite, se faire accompagner et être soutenu dans la durée. Sur ce chemin exigeant nous avons besoin de miroirs bienveillants et challengeant pour progresser et transformer nos peurs. C’est le rôle du coach, qui selon notre expérience peut être amplifié par un processus collectif au sein d’un « cercle de pairs ».

Vous voulez approfondir ce thème ? Je vous invite à la lecture de mon livre « LEVONS-NOUS. Être dirigeant au XXIe siècle ».

Vous êtes intéressé(e) par l’accompagnement et la formule de « cercle de pairs » ? Je vous invite à prendre connaissance du programme DIRIGER AUTREMENT, accessible depuis cette page, et nous contacter.

Antoine BARON